19 avril 2008

La France prise au piège du nationalisme chinois

Le régime communiste chinois est en train de faire payer à la France les incidents ayant émaillé le parcours de la flamme olympique à Paris, bien que les mêmes incidents se soient passés deux jours plus tôt à Londres, sans que l'on assiste pour autant à des réactions semblables en Chine.
Les journaux français se font l'écho de manifestations « anti-françaises » dans plusieurs villes du pays visant particulièrement l'enseigne Carrefour qui, avec une centaine hypermarchés, est assez présente dans le pays.

Si comme le précise Jean-François Huchet, directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine, les produits français seront peu touchés par ce boycott car peu présents et consommés par la population, on a tout de même entendu cette semaine les patrons des grandes entreprises françaises du cac40, soucieux de maintenir leur niveau de profit de 2007, monter au créneau. Le PDG de LVMH, Bernard Arnault, dans un entretien au Figaro cette semaine, estime prudemment que «Même si l'on peut être choqué de ce qui se passe au Tibet, il est également choquant de voir des attaques contre la Chine. La Chine a fait d'immenses progrès depuis vingt ans, tant sur le plan du développement économique que de son ouverture au monde».
Moins hypocrite , le PDG de Suez, Gérard Mestrallet, invite à «faire attention à bien distinguer le message envoyé aux politiques et à ne pas froisser le milliard de Chinois». [La Chine] «nous offre de très belles opportunités. Nous sommes des amis de la Chine, et nous souhaitons le rester».
Concernant les contrats passés directement avec le gouvernement chinois, il n'y a pour le moment aucune remise en cause et cela pour au moins deux raisons:
Les contrats portent sur des technologies de pointes (nucléaire, aéronautique...)qui, pour certaines d'entre elles, donneront lieu à des transferts de technologies. Si la Chine a un développement économique extrêmement rapide, elle est encore dépendante de ces technologies occidentales.
Cela permet au gouvernement chinois de sauver la face au niveau international, en arguant auprès de ses partenaires commerciaux qu'il n'y est pour rien dans les manifestations.
Il est difficile de recevoir ce second argument dans un pays où la moindre protestation sur internet du régime est sévèrement réprimé. Si les manifestations étaient vraiment spontanées, il serait assez facile de les contenir, voire même de les réprimer.
Sans vouloir minimiser l'indignation de la population qui a notamment été sensibilisé par la propagande concernant le chahut de l'athlète handicapée pendant le passage de la flamme à Paris, l'hypothèse la plus vraisemblable reste que le pouvoir, sans organiser les manifestations, téléguide les manifestants dans un but nationaliste.
Cette manière de procéder par double langage est très habile, puisque si débordement il y a, le gouvernement pourra y mettre un terme et apparaître responsable auprès de la communauté internationale et du pays visé, ici la France. Il s'y emploie déjà, en rappelant «la ferveur patriotique doit être canalisée de manière rationnelle et doit se transformer en action efficace».

Cet épisode est intéressant à analyser à l'aune des rapports sino-japonais. Au moment où Tôkyô signifie son refus de voir les gardiens de la flamme chinois assurer la sécurité de la flamme dans le pays, les manifestations contre la France rappellent étrangement celles à l'encontre du Japon en avril 2005.Toute une série de contentieux opposent les deux pays : manuels scolaires japonais jugés révisionnistes par la Chine, visites répétées du Premier ministre Koizumi au sanctuaire Yasukuni, prétentions des deux pays sur les îles Senkaku et l'entrée éventuelle du Japon au conseil de sécurité de l'ONU.
C'est néanmoins la parution d'un manuel d'histoire japonais minimisant ou passant sous silence des exactions commises par le Japon envers la Chine et la Corée du Sud durant la Seconde Guerre Mondiale a mis le feu aux poudres et provoqué l'ire de la population chinoise.
Des manifestations eurent lieu devant des magasins et des restaurants japonais en Chine, mais aussi des jets de pierres et autres dégradations de symboles japonais jusqu'à celles des ambassades et consulats du Japon à Pékin et Shanghai.
On retrouve ce même laisser-faire des autorités chinoises qui voit là un moyen de canaliser les frustrations de la population sur un ennemi extérieur et de renforcer le sentiment national tout en continuant de réprimer les opposants politiques au PC. C'est une vieille ficelle des régimes autoritaires mais qui fonctionne encore assez bien visiblement.
Même si on assiste à un réchauffement des relations entre les deux pays, surtout depuis la fin du mandat de Koizumi en 2006, si le refus de voir la sécurité de la flamme assurée par les gardes de la police spéciale chinoise (comme c'était le cas dans les autres pays jusqu'alors) se confirme, cela peut être source d'un regain de tensions. La porte-parole du Ministère des Affaires étrangères Jiang Yu se retranche derrière les usages olympiques en déclarant que «sur la question des gardiens de la flamme olympique, comme nous l'avons dit à plusieurs reprises, cet arrangement est en conformité avec l'usage international et a été approuvé par le Comité international olympique».
Il sera difficile pour le Japon de justifier ce refus, au risque de voir le pouvoir chinois se servir de ce prétexte pour laisser se reconstituer un front anti-japonais dans la population.

Ces crispations nationalistes montrent bien les limites du marché de dupe conclu avec la Chine par les puissances Occidentales. Au boycott chinois, la France, par exemple, n'a pas vraiment les moyens autres que symboliques de répliquer. En 2006, la France a acheté pour près de 24 milliards d'euros de produits chinois (vêtements, électronique, jouets...) contre 7,2 milliards d'euros seulement d'achats chinois de produits français. La levée des différents quotas dans le cadre de l'accession de la Chine à l'OMC en 2001 produit déjà des effets dévastateurs pour les emplois dans les pays développés. Le bilan des manifestations pour les droits de l'homme lors du passage de la flamme a donc un goût amer, car, non seulement, la population chinoise qui a déjà à souffrir du régime de Pékin, continuera à subir la répression et c'est une occasion pour les autorités de raffermir leur autorité en soudant le pays face à des puissances étrangères.
L'occident n'aura donc plus qu'à assister lors de ces Jeux, à la démonstration de puissance de sa créature: une alliance entre la dictature la plus sanglante et le capitalisme le plus débridé.

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