13 octobre 2008

Dérapages et chiens de garde

Dans le petit milieu des journalistes et commentateurs, quand les intérêts sont menacés, on sait faire preuve de confraternité. Ainsi le spécialiste ès médias de l'hebdomadaire L'Express, Renaud Revel monte au créneau pour défendre l'ex-chroniqueur économique de TF1 et LCI, Jean-Marc Sylvestre, suivi en cela par l'éminent Jean-Marc Morandini, dont le crédit journalistique n'est plus à démontrer.

Le crime de lèse-majesté envers Sylvestre émane du sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon, qui, interrogé par Anne-Sophie Lapix dans l'émission Dimanche Plus sur les conséquences à tirer de la crise actuelle, a pointé un certain nombre de responsables:"Ne faites pas confiance à ceux qui vous ont cassé les bras et les jambes pour venir vous les soigner. Cela veut dire qu'il y a tout un personnel médiatique, politique, économique qu'il faut pousser vers la sortie".

La journaliste feint l'étonnement sur le personnel médiatique et le sénateur livre un nom: "Bien sûr! Vous voulez un nom? Votre collègue Jean-Marc Sylvestre qui nous fait du catéchisme libéral depuis bientôt dix ans sur TF1, matin, midi et soir en expliquant qu'il faut acheter des actions (...) Il n'analyse rien du tout, il fait de la propagande, matin, midi et soir."


Devant tant d'impudence, les réactions d'indignation n'ont pas tardé, par l'entremise de Revel et de Morandini, qui ne pouvaient rester passif face à cette mise en cause éhontée du personnel médiatique et économique.

Revel, sous le titre "Mélenchon le dérapage", procède par analogies crasseuses sans émettre la moindre remise en cause argumentée du propos. Un extrait: "Ce type de sortie rappelle les fatwas de 1981, quand la gauche excommuniait une partie de la profession et organisait des charrettes dans l’audiovisuel. Que ferait Mélenchon s’il était en situation de gouverner ? Des listes noires à l’entendre. La charge est en tous les cas peu reluisante et caricaturale."
Fatwa, excommunication, liste noire... Le commentaire de Mélenchon était peut-être sévère, mais sans doute pas autant que celui-ci de Revel qui ajoute à la caricature, le nauséabond.
Son commentaire reste dans la ligne des éditorialistes qui pourfendent à longueur d'éditos, les "privilèges des fonctionnaires", les "euro-sceptiques", les "islamo-gauchistes", et soupçonnent d'antisémitisme la moindre critique du néo-libéralisme.

Le sémillant Jean-Marc Morandini (qui, comme le rappelait Télérama, fait travailler une batterie de stagiaires pour ses émissions, j'ai donc de sérieux doutes sur l'auteur de l'article) pousse également des cris d'orfraie en parlant de "charge sans précédent". L'article rapporte les propos de Mélenchon dans ces termes: "(...)il faut virer quelqu'un comme Jean Marc Sylvestre, chroniqueur économique sur TF1 qui depuis des années ne fait pas de l'information sur TF1, mais de la propagande ! Voilà les gens qu'il faut virer !". Sauf que ce n'est pas exactement ce qui a été dit, mais ça Jean-Marc n'en a cure, tellement prompt à sauter sur tout scandale à même de faire de l'audience.

Sur le fond, l'attaque de Mélenchon est justifiée mais forcément partielle. Sylvestre n'est que le maillon d'une chaine de commentateurs et d'éditorialistes qui comme Marseille, Gaudet, Minc, Baverez, Nay, Elkabbach etc... prêchent la bonne parole de la réforme néo-libérale. Ils assènent leur dogme du moins d'État, d'impôts, de fonctionnaires sur de nombreux médias, notamment sur le service public, sans que cela n'émeuve ou ne pose de problème déontologique.

Alors, comme avec l'affaire Siné, le balancier médiatique penche tellement dans le sens de la défense des pouvoirs et de l'idéologie dominante que cela entraine des commentaires un peu excessifs en retour. En revanche sur le fond, aucune réponse, aucune excuse, mais la défense d'un modèle qui montre ses limites, et de ses soldats, qui professent la loi du sacro-saint "marché" dans les médias.
Heureusement que nos chiens de garde veillent à ne pas laisser s'instruire les procès staliniens de vulgaires "crypto-marxistes".


Quand Mélenchon dérape
Revel baisses d'un ton
Mélenchon (PS): "Il faut virer Jean Marc Sylvestre de TF1 !"
Mélenchon s'en prend au Saint Sylvestre (Marianne)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour Marseille et les autres je ne suis pas d'accord, le but d'une chronique dans un journal est justement d'exposer un avis personnel ou de former une ligne éditoriale orientée. On peut leur reprocher leurs idées, et dans ce cas ce sera fatalement un débat partisan des deux cotés, en revanche on ne peut pas leur reprocher d'exposer ces idées. Marseille est prof d'éco et accesoirement éditorialiste, ceux à qui on ne demande certainement pas d'être objectif, il n'a donc pas à s'auto-censurer pour motif déontologique.
De toute façon le journalisme français, pour des raisons historiques, est loin du modèle anglo-saxon de prohibition des pratiques collusives et de factualisation, et s'est construit par des orientations politiques fortes des lignes éditoriales.

thm a dit…

Le fait que je fasse une liste rapide composée de spécialistes, de chroniqueurs et d'éditorialistes répond plus au besoin de montrer un courant de pensée majoritaire, voire la doctrine qui sous-tend leurs propos. Le fait est que l'échec du système qu'ils ont prôné ne les empêchent pas de s'exprimer comme si de rien était sur les plateaux.
Les éditorialistes sont forcément subjectifs, et sont payés pour l'être, donc je ne suis pas tout à fait sur la ligne de Mélenchon. J'aurais pu ajouter Apathie, Barbier ou Askolovitch, bref tous ceux bien installés dans les médias, qui vont peu ou prou dans le même sens.
En face, où peut-on entendre une tonalité discordante sur les réformes? Quand Jacques Sapir aura une chronique sur TF1 ou F2, on en reparlera...